Sur une esplanade bétonnée, en arc de cercle, en résidu d'Épidaure, en trompe-l'oeil, des jeunes en tenues brillantes, acryliques, jouaient au ballon avec ennui. De temps en temps, l'un d'eux tentait une prouesse d'idole et devenait, l'espace d'un instant, un faune pétrole, plastiqué, homonyme. Casanova, finalement ne détonnait pas vraiment au milieu d'eux avec ses habits de Venise, de drap fin, de soie brillante, d'une brillance de casaque, d'habit de lumière. Des habits de spectacle. -Giacomo, ne t'inquiète pas... il y aura sûrement quelques petites élèves de piano, de vraies petites jeunes comme tu les souhaiteras plus tard, en vieillissant... Casanova, Monsieur de Rochebaron... je me demandais s'il existait encore des descendants á Lyon de cette lignée, de ce mandant du Roi parent de Madame d'Urfé, cette marquise devenue fellinienne... et si ces survivants continuaient á pratiquer les mondanités. C'est étonnant, cette arrogance des termes des privilégiés, les mondanités, le Tout-Paris, le Tout-Lyon... et maintenant, les « people »... Mais je me disais aussi que c'était souvent amusant, un nom égaré dans un livre et que l'on ramasse comme une miette, une poussière, une esquille.
« Ce fut á Lyon qu'un respectable personnage, dont je fis la connaissance chez Monsieur de Rochebaron, me procura la grâce d'être admis á participer aux sublimes bagatelles de la franc-maçonnerie. Arrivé apprenti á Paris, quelques mois après, j'y devins compagnon et maître. ~ Toutes ces choses-là allaient vite, á l'époque, mais la mort aussi, souvent, sauf dans son cas.
Casanova. Je me demandais bien
pourquoi je m'intéressais á lui depuis quelques semaines sans réel contentement. Peut-être parce que, comme lui, je n'avais jamais vécu chez moi-même mais toujours chez les autres, recevant toujours et ne donnant en échange que des sentiments, des désirs, mais rien de tangible qui puisse compter en poids dans la balance.
Casanova, le décadent, mais pas plus que son État, sa ville, á son époque. Une Venise décadente et, au dix-huitième déjà, elle commençait á ne plus être qu'un objet de voyeurisme.
Finalement, á l'heure d'entrer dans l'auditorium, je laissai Casanova partir en diligence vers Paris. Je savais que son voyage allait durer cinq jours sur des routes qui allaient lui causer des maux de terre aussi violents que ceux de mer et qu'il finirait sa vie au château de Dux, si ma mémoire était bonne, bibliothécaire, quelque chose comme cela.
II n'assista donc pas au concert de Radu Lupu et ne vit donc pas Lyon, ce soir-là, un ton au-dessus de Paris.
En quittant moi-même cette ville par la route des raffineries, des grandes citernes, de ces tankers de berges, énormes buses cylindriques, je me permis de rajouter quelques lignes, une page 374 bis aux Mémoires du chevalier de Seingalt. « Ce soir á Lyon, rencontre avec un importun. N'ayant pas retrouvé Sofie, je n'ai pas assisté au concert de Radu Lupu. II parait cependant qu'il fut mémorable. »
A défaut d'un huitième de ligne sur Mozart dans les huit mille pages des Mémoires manuscrites de Casanova, il en existait une au moins maintenant sur Beethoven et Radu Lupu, une phrase apocryphe, c'est-à-dire une fausse, mais seulement pour les érudits.

                                           ERIC NONN
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